Mieux chez vous – Le blog

N°1 – mai 2025

100€ le joint, ce n’est pas un peu cher ?

Si !

Personnellement cela me ferait un peu mal de payer ce prix-là…

Alors pourquoi est-ce si cher ? L’artisan s’en met-il plein les poches ? Voyons cela de près.

Cas d’école, une cliente m’appelle pour une fuite goutte à goutte sur un raccord du circuit de chauffage. Le raccord a l’air très abîmé, mais finalement un simple nettoyage et le changement du joint suffit, 10 minutes de travail, et environ 100€ de facture, c’est raide !

Pour ne pas prendre les gens au dépourvu, j’annonce le tarif approximatif dès le coup de fil, ou en tout état de cause avant l’intervention (obligation légale), et je mets les clients très à l’aise, s’ils veulent demander un second avis ou réparer eux-mêmes, je n’ai aucun souci avec cela, je peux même leur donner des conseils si besoin.

Quand j’annonce le tarif, certains toussent, d’autres « réfléchissent », quelques-uns s’étouffent, or je ne fais pas ce métier pour étouffer les gens, plutôt pour leur rendre service, avec deux objectifs financiers : que cela leur coûte le moins cher possible, et que cela me rapporte quelque chose. C’est pour cela que s’ils préfèrent réparer eux-mêmes, je leur conseille de le faire.

Maintenant, voyons ce qu’il y a dans ces 100€ de facture.

– Tout d’abord, je reverse directement à l’État les 10% de TVA, il reste environ 91€ HT.

– Ensuite, dans notre cas d’école, je ne fais pas payer le joint qui m’a coûté 1 centime, donc il n’y a que de la main d’œuvre, sur laquelle je verse 22,15% de cotisations sociales à l’URSSAF, soit environ 20€. Il reste environ 70€, sur lesquels il faudra aussi payer des impôts sur le revenu, je n’en parle pas ici, cela permet de faire une comparaison plus facile avec l’univers salarié.

– Pour dépanner la fuite, il a fallu me rendre chez la cliente, donc mettre du carburant dans un réservoir. Et je n’y suis pas allé à pied, mais avec ma camionnette, qui n’est pas née par génération spontanée (il a fallu l’acheter !). Il a fallu l’équiper aussi…

L’ensemble de l’œuvre, confère le barème fiscal, coûte 0,697€ par kilomètre en 2024, ce qui est loin d’être négligeable. Il faut aussi noter que pour avoir un joint en stock dans ma camionnette, il a bien fallu que j’aille le chercher chez un fournisseur, ce qui a entraîné des kilomètres dont la cliente n’a pas conscience quand elle habite dans le village à côté de chez moi.

Elle va donc peut-être trouver que j’abuse à lui facturer 20€ de frais de déplacements / approvisionnements (20€ = 30 km = 15 km aller/retour), j’ai un peu de marge si j’ai ce qu’il faut sous la main, mais j’en suis de ma poche si je dois aller chercher une pièce. L’un dans l’autre, sur 1 an d’expérience, je constate que c’est neutre donc je n’y gagne rien mais je ne perds rien.

– Il reste donc 50€. Pour combien déjà ? 10 minutes de travail ! Le rêve, non ? Enfin 10 minutes avec les clés à molette dans la main, mais après avoir préparé le chantier, isolé et dépressurisé le circuit. Et puis après les 10 minutes, il faut refaire l’appoint, vérifier l’absence de fuite (oui sinon la cliente ne va pas être contente), recommencer s’il y a un problème, replier le chantier (=ranger, nettoyer). Et ça c’est la technique, mais il y a l’humain avec 10 minutes à passer pour établir la facture, justement, si bien qu’au final, l’intervention de 10 minutes dure à peu près 1h.

– Nous sommes donc à 50€ de l’heure, ce qui n’est pas si mal ! Mais nous n’avons pas assez parlé de l’humain, le client, la cliente, chez qui on vient d’aller, réparer une fuite, remballer les outils, établir la facture sur la table de la cuisine, se lever, mettre sa veste, être prêt à repartir, la main sur la poignée de porte, quand tout à coup…

– Au fait, heu, je peux vous montrer un truc ?

– Mais bien sûr Madame, montrez-moi « un truc » !

Nous entrons alors dans une autre dimension, un monde parallèle, celui des… devis ! Parlons-donc du devis. Un client m’appelle pour un projet et me demande un devis. Il est très content que je vienne, parce que vous comprenez Monsieur, de nos jours, il est très difficile de trouver des artisans, et alors pour avoir un simple devis, il faut souvent des mois, parfois ils ne rappellent même pas.

Un « simple » devis, oui, enfin croyez-moi, il n’y a rien de simple dans un devis, cela fera l’objet d’un autre article.

Je viens donc pour un devis, ou je suis la main sur la poignée de porte, prêt à partir, c’est la même chose : le client ou la cliente va me montrer ce qu’il veut. Si j’ai de la chance, le client sait ce qu’il veut. Si je n’ai pas de chance… ça prendra une heure de plus.

Le client me montre donc « un truc », soit pour un projet, soit pour un dépannage. Et comme je suis électricien, menuisier & plombier, il me fait une liste de courses longue comme le bras de tous les petits graviers dans sa chaussure, une prise mal placée derrière un meuble, une porte qui grince, un tuyau trop court, etc. Logique. Et comme c’est mon travail, je ne me plains pas, c’est pour cela que je suis venu. Mais j’y passe un certain temps… jamais moins d’une heure, et cela peut aller jusqu’à 2h30, selon que le client sait ou non ce qu’il veut.

Dans mon cas d’école, 1h d’intervention + 1h30 de « montrer un truc » = 2h30, et 50€ divisés par 2h30, cela fait 20€ de l’heure, pas 50. Notons que si je ne viens que pour le devis, 0€ divisés par tout ce que l’on veut, cela fait toujours 0€ de l’heure, et notons aussi que si dans la liste de courses, il y a par exemple des portes coulissantes qui ne coulissent plus, et qu’en 2 minutes je remets les roulettes sur les rails, cela fait un gravier de moins sur la liste de courses et je ne fais pas payer pour cela. Ce n’est qu’un exemple.

– Mais admettons qu’on sorte l’humain de l’équation, que la main sur la poignée de porte, la cliente me dise « au revoir et merci », je ressors donc avec 50€ pour 1h d’intervention, ce qui n’est donc pas si mal, 50€ de l’heure, certains en rêvent…

– Sauf qu’avec ces 50 euros, il faut que je prenne une rémunération et que je fasse tourner l’entreprise qui a des frais dits « de structure » : assurance, frais de facturation, déplacements, outillage, etc. Car sans tout cela, je ne peux pas changer un joint.

Je divise donc en deux : 25€ de l’heure pour ma rémunération, et 25€ de l’heure pour l’entreprise. Nous voyons-là que 25€ de l’heure, c’est encore un taux horaire intéressant, mais si je divise par les 2h30 passées chez la cliente, nous sommes un peu au-dessous du SMIC.

– Revenons toutefois à la situation idéale où je ne passe qu’une heure chez la cliente, rémunérée 25€ (avant impôts), or vous vous dites peut-être que 25€ de l’heure, c’est encore un bon salaire… Grave erreur ! Car ce n’est pas un salaire, justement.

Biais n°1 : quand un salarié prend des congés, son salaire tombe quand même à la fin du mois. Pour un artisan, non, il n’y a rien qui tombe tout seul. Bizarrement, les statistiques d’arrêts maladie entre salariés du privé, salariés du public et artisans sont très très différentes…

Donc les 25€ de l’heure doivent rémunérer l’artisan sur toute l’année, même quand il ne travaille pas.

Biais n°2 : « même quand il ne travaille pas » = « les doigts de pied en éventail sur la plage », mais pas seulement. Quand un artisan va chez un fournisseur, quand il établit un devis, quand il emmène sa camionnette chez le garagiste, il travaille. Et ce travail n’est pas facturé, en tout cas pas directement. Cela fait partie des 25€ de l’heure, qui doivent rémunérer toutes les heures de travail, celles avec les clés à molette dans la main et les autres.

Biais n°3 : des interventions de 10 minutes qui durent en fait 1h et qui ramènent 25€ dans la poche de l’artisan, combien peut-il en « vendre » dans une journée ? Une ou maximum deux le matin, et une ou maximum deux l’après-midi, parce qu’on ne sait pas combien de temps elles vont durer, justement, et puis parce que sinon cela se passerait comme ça :

– Au fait, heu, je peux vous montrer un truc ?

– Ah non Madame, le compteur tourne, là, je n’ai pas le temps de regarder « un truc », il faut que je parte sur un autre chantier !

Alors bien sûr, en s’organisant un peu mieux, en étant plus rapide, en cadrant mieux l’intervention auprès du client, il y aurait moyen de « vendre » un peu plus d’heures dans une journée. Mais au final, il faut bien se dire qu’une intervention de 10 minutes facturée 100€, cela peut paraître cher pour le client, mais ça ne fait pas vivre l’artisan.

Vous comprenez maintenant pourquoi il est très difficile de trouver des artisans qui acceptent de se déplacer pour des petits chantiers.